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LA PLACE N°30 [début]
 
Novembre 2006
Nombre de pages Word, corps 10 : 11
IL FAUT M'ENVOYER UN MAIL POUR AVOIR LA SUITE
 

  Notre héros avait passé quelques jours chez sa sœur. Vraisemblablement une dizaine, peut-être plus. Il y était allé en septembre, lorsqu’il ne fait plus trop chaud et lorsqu’il ne fait pas encore trop froid. Les feuilles jaunissaient, le soleil faiblissait et l’air était frais et apaisant. Il était parti après un petit conflit avec sa femme, une bête histoire de porte qu’elle avait oublié de fermer à clé après s’être couchée. Il s’était mis en colère, avait dit des choses terribles. Elle s’était énervée, avait crié, cogné dans la vaisselle, il en était devenu fou de rage. Elle s’était mise dans une colère noire et terrible et l’avait sommé de partir. Oui, il vivait chez elle.
   Il l’avait prise au pied de la lettre et était parti le lendemain matin, aux aurore, avec une valise dans la main, ni trop grand, ni trop petite, pour qu’elle ne soit pas trop lourde et pour qu’il puisse y mettre suffisamment d’affaires.
  Sa femme s’était précipitée derrière lui, ahurie, elle qui avait déjà tout oublié de la dispute de la veille. Elle lui avait couru après, dans la rue, en lui demandant ce qu’il lui prenait.
  — Alors quoi, une petite dispute, une si petite dispute et tu t’en vas ? avait-elle crié.
  — Mais quoi ! Tu me l’as demandé hier soir ! Va, j’y vais, je vais prendre le train, avait-il répliqué sans faire l’effort de se retourner.
  Elle était arrivée à sa hauteur et l’avait retenu par l’épaule.
  — Mais enfin ! tu n’as pas pu prendre ça sérieusement.
  Il avait répondu que si, bien au contraire, bien au contraire ; ça, il l’avait répété au moins quatre fois, pour bien se faire comprendre. Là, sa femme, elle s’était fermement accroché à lui, alors qu’il marchait encore et lui avait crié dans les oreilles, pour qu’il entende bien ce qu’elle disait :
  — Non ! Non ! c’était juste comme ça ! une parole comme ça, enfin !
  Elle lui a encore demandé comment il avait bien pu prendre une de ses paroles au sérieux.
  — Ce que chacun dit est sérieux ! avait-il alors ajouté en allongeant le pas, dans l’idée de la semer ; tu me demandes de partir, j’obéis, je pars
  — Mais enfin ! mais enfin ! glapissait-elle en levant les bras, sans cesser de courir à côté de lui.
  Ses bras n’avait pas cessé de tournoyer au-dessus de sa tête. Elle s’était mise à pleurer à chaudes larmes. Son mari n’en avait été que plus méprisant.
  — Mais je ne le pensais, je ne le pensais pas ! avait-elle lâché entre deux sanglots sonores.
  Là, il était devenu tout rouge, ses yeux s’étaient écarquillés et ses mains avaient été comme parcourues d’un tremblement imperceptibles. De sa main libre, il avait fait un geste brusque, s’était arrêté précipitamment, sans crier gare, sa femme s’était cognée contre sa paume. Il avait alors saisi son menton endolori entre deux doigts et avait dirigé ses yeux dans les siens.
  — Alors il ne fallait pas le dire, si tu ne le pensais pas, avait-il grincé.
  Son visage empourpré par sa course s’était distordu en une infâme grimace, il avait fait mine de cracher et il était reparti à grandes enjambées. Sa femme avait dû soudainement comprendre quelque chose car ensuite, elle ne l’a plus du tout suivi.

  Il marchait avec une force de colosse, à une rapidité folle voire étonnante, les dents serrées transperçant de tout son corps léger, le vent qui s’était alors levé. “Quoi ! marmonna-t-il pour lui-même ; elle m’a dit de partir alors je pars, quoi, oui-oui, je pars, je pars, c’est elle qui me l’a demandé, elle est foldingue ou quoi ? Faut savoir, faut savoir !”
   Le léger vent s’était mué en un vent plus fort qui lui cinglait le visage, ses mèches de cheveux tombaient dans ses yeux mais il ne cillait pas, avançait tout droit, d’un pas ferme qui claquait la chaussée, avançait sans faillir en direction de la gare.
  Le soleil ensommeillé ne se montrait pas, il n’en avait que faire. Il bouscula des passants, se cogna dans des poubelles, renversa un mioche et manqua de tomber dans une bouche d’égout béante. Il voulait marcher sur une ligne droite, sans faire un seul pas de coté, sans faillir, tout droit, sans se retourner, sans faiblir face au gamin, aux poubelles, aux bouches d’égout qui étaient alors arrivés face à lui. “Quoi ! quoi ! faut savoir, faut savoir” marmonnait-il encore entre ses dents, pour lui-même, pensant à voix haute, peut-être même sans s’en rendre compte.
  Il acheta un billet à un guichet de la gare et téléphona à sa sœur, lui signalant l’heure à laquelle il arriverait chez elle. La sœur avait quelque peu oublié qu’elle avait un frère mais accepta sans poser une seule question.
  — Je t’attends, je t’attends, avait-elle juste murmuré lointainement.
  Il ne demandait pas son avis de toute manière, elle devait accepter parce qu’il ne savait pas où aller.
  L’idée de prendre le train le réjouissait. Il attendit donc sur le quai, sans bouger, juste quelque peu mouvementé par le vent qui se faisait de plus en plus fort, de plus en plus violent et acharné. Il resta là, fixement, sa valise dans la main gauche, l’autre main ballante, qui pendait mollement le long de son corps. Et là, immobile, il s’affaira à regarder un horizon qui n’existait pas, caché par la structure de la gare, les quais, les trains qui passaient, s’arrêtaient et redémarraient en vrombissant. Il murmurait quelques mots épars et incompréhensibles. Parfois, un passant se retournait pour le dévisager, haussait les épaules et continuait sa route. Notre héros ne remarqua rien du tout, trop occupé qu’il était.
  Le train entra en gare après un quelques heures d’attente. Notre héros se dirigea expressément vers la voiture 7 et se mit immédiatement à la recherche de la place n°64 qui lui avait été attribuée si on en croyait le billet de train.
  Il trouva bien rapidement sa place, une place de choix, juste à côté de la fenêtre et c’est tout à fait logique, il s’y installa, content et satisfait. Il se releva quelques secondes après pour ôter son manteau qu’il plia consciencieusement puis se rassit en souriant béatement. Il plaça sa valise sur le sol, entre ses jambes, serra les genoux pour la maintenir stable et fit un nouveau sourire large d’être si correctement installé. Les sièges étaient confortables, rembourrés comme il faut, il se félicita d’avoir pris une telle décision. Il s’attarda à regarder le quai de gare sans rien voir de ce qu’il s’y tramait, trop absorbé par le contentement et la satisfaction qui affluaient dans tout son être entier.
  Contentement et satisfaction qui furent quelque peu brisé quand un vieil homme se présenta. Le vieux monsieur fit une espèce de révérence à notre héros, signala qu’il avait la place à côté de lui, ôta son béret vert et râpé et dit un bonjour franc qui resta sans réponse. Il demanda de l’aide pour hisser ses nombreuses valises dans les compartiments qui se trouvaient au-dessus des sièges. Notre héros accepta à contre cœur et hissa les valises qui s’avérèrent très lourde. “Quelle idée de mettre tant de choses dans les valises, c’est un monde, quelle idée ! Il a dû y mettre n’importe quoi, c’est bien les gens, ça, d’emmener un fourbi qui ne leur sera même pas utile !” Il avait accepté par politesse et par soumission, il n’avait juste pas le courage de dire un non catégorique.
  Le vieux bonhomme le remercia. Un bonhomme tout ridé, avec un nez en crochet, un vieux menton proéminent, des sourcils broussailleux et des vêtements sales. “Est-ce possible que des gens portent des vêtements sales !” maugréa notre héros à l’intérieur de lui-même. Le vieux ôta son manteau, le roula en boule et le maintint sur ses genoux qu’on devinait grêles à travers le pantalon de toile.
  — Attention, votre manteau ! entendit le vieux bonhomme.
  Il chercha du regard la personne qui s’était adressée à lui.
  — Votre manteau, là.
  C’était notre héros qui pointait le manteau sale d’un index frémissant. Plus précisément, il indiquait un pan du manteau qui tombait sur ses genoux.
  — Là, il dépasse, votre manteau, insista-t-il.
  Le vieux monsieur grommela de rire et s’empressa de ramener le manteau à lui et de le rouler à nouveau vaguement en boule et de le garder serrer contre sa poitrine.
  — Désolé, dit-il en continuant de rire.
  Notre héros retint un sarcasme, serra les poings qu’il rabattit dans les poches de son pantalon qu’il avait soigneusement repassé et tourna sa tête en direction de la fenêtre. Le train gronda, hoqueta quelque peu, vrombit et s’ébranla enfin. Le quai disparut, la ville défila, floue et apparurent des paysages sans fin, mornes, ternes et dont le soleil ne pouvait même pas rehausser un peu les couleurs.
  Notre héros, malgré les quelques petits désagréments, esquissa un léger sourire d’être assis à sa place, dans un train à l’atmosphère tiède et rassurante.
  Mais sa bonhomie devait alors se ternir violemment. Après quelques minutes de contentement, il ôta ses mains de ses poches et les maintins enfoncées profondément dans les accoudoirs, comme s’il allait tomber, comme s’il se retenait de peur de glisser. Ses ongles crissaient sur le plastique, sa mâchoire suivait les cahots du train, ses yeux clignaient rapidement survoltés. Il pensait à sa femme.
  “Elle me l’a demandé, c’est ce qu’elle a demandé, fallait savoir, se taire…” Le vieux bonhomme se retourna en faisant crisser ses vêtements sales.
  — Je vous demande pardon, dit-il.
  Notre héros sursauta, s’accrocha plus fermement aux accoudoirs, fit pivoter son bassin et regarda le vieux bonhomme comme on regarde le Diable.
  — Quoi ? Quoi ? fit-il précipitamment en sifflant.
  Ses yeux révulsés effrayèrent notre petit vieux qui se confondit en excuse, comme quoi il l’avait entendu parler, qu’il avait cru qu’il s’adressait à lui et ainsi de suite. Notre héros pesta, grogna, ravala bruyamment sa salive, refit pivoter son bassin, se réinstalla. Il prit soin de placer ses jambes bien droites et serrées contre la valise, de façon à ce qu’elles soient parallèles à son siège puis il tourna légèrement sa nuque pour regarder les paysages défiler. C’en était fini de sa bonne humeur, de sa joie d’être dans le train, tranquillement ; là, il crissait des dents, agacé au dernier degré. Il fallait qu’une saleté de vieux monsieur vienne gâcher son trajet – en plus de ses pensées désagréables concernant sa femme. Il avait payé un billet pour être à une place, il ne demandait rien à personne, lui, juste qu’on le laisse profiter de son voyage.
  Le train traversait une campagne infinie. Parfois il s’arrêtait, amenant son lot de passagers, redémarrait en crachotant et repartait serpenter entre les plaines, les arbres esseulés et les champs labourés qu’on avait abandonnés.
  Notre héros ne bougea pas. Il n’était pas question pour lui de se lever, d’aller aux toilettes, de changer de place alors même qu’il était confortablement installé, bien comme il fallait, les pieds posés à plat sur le sol, tranquillement, pour ressentir les vibrations du train qui le berçaient tendrement.
  Mais ce n’était pas parfait. Il était encore troublé, encore sous le coup de la nervosité exacerbée par le fait que son voisin dormait et ronflait un peu. Oh ! si peu, légèrement, un simple souffle. Mais notre héros, étrangement, n’entendait plus que ce léger souffle qui se répercutait à l’infini dans son crâne, comme mille bombes qui explosent simultanément. Et plein d’une rancœur terrible envers cet homme qui perturbait son voyage, il se mit à se questionner.
  Peut-être bien que cet homme ne devait pas être là ! Peut-être même que ce n’était pas du tout sa place ! Il fallait lui demander et peut-être bien qu’il partirait et qu’il irait ronfler ailleurs. Oui, là, c’en était comme de trop, il fallait que la mascarade cesse – et ce, immédiatement sinon, notre héros, il allait défaillir sur place.
  — Eh ! mon vieux ! fit notre héros à voix basse.
  Face à l’absence de réponse, il réitéra sa question trois fois, peut-être quatre ou peut-être dix. Mais le vieux bonhomme dormait si profondément qu’il semblait mort. “Si seulement” pensa notre héros en tordant sa bouche d’agacement. Alors il décida de le secouer de sa main droite, avec dégoût, d’un geste quelque peu retenu. Puis il y alla franchement, parce que, bon, tout de même, son bien-être en dépendait.
  Le vieux sursauta finalement, il avait été violement secoué, c’était donc normal, il lança un regard interloqué à droite, puis à gauche.
  — Quoi ? Hein ? Quoi ? laissa-t-il échapper avec sa vieille voix rocailleuse et usée.
  — Eh ! mon vieux, dit encore notre héros en clignant compulsivement des yeux. Eh, mon vieux, c’est quoi le numéro de votre place ? Vous avez quoi ? La 65, c’est ça ? Non, parce que moi, c’est la 64, alors vous, c’est combien ? C’est la 65 ou pas ?
  Le vieux écouta sans rien dire et sans rien comprendre, encore un peu léthargique et hébété. Sa bouche béait benoîtement au fur et à mesure. Il renifla, essuya son nez d’un revers de sa manche et trifouilla dans son sac. Est-il bien utile de préciser que notre héros retint un spasme de dégoût ? Le vieux bonhomme extirpa un billet de train tout chiffonné de la poche intérieure de son manteau chiffonné. Notre héros retint un second haut-le-cœur de dégoût de voir un billet tout chiffonné, aux coins cornés et d’une couleur douteuse. Il l’arracha des mains du pauvre vieillard.
  — A-t-on idée de plier un billet de la sorte ! cracha-t-il.
  Une fois le billet déplié, il fut bien obligé d’admettre que son compagnon de voyage avait bien la place n°65. Devant une telle évidence, il s’énerva d’avantage. Il froissa à nouveau le billet et, écoeuré comme rarement il l’avait été, il le jeta sur les genoux du vieillard. Le billet froissé roula et tomba sur le sol. Le vieux bonhomme se cambra et le récupéra. Ce dernier avait suivit les gestes de notre héros sans mot dire, sans réagir, les yeux tout plissée, plein d’incompréhension. En homme quelque peu intelligent, il avait jugé bon de ne pas répliquer, d’acquiescer sans poser de question et ce, pour ne pas froisser l’étrange énergumène qui s’était adressé à lui.
  — D’accord, d’accord, marmonna notre héros en se renfrognant.
  N’ayant plus de questionnements désagréables sur lesquels se focaliser, il cogna dans les accoudoirs et ravala sa rancœur bilieuse. Ainsi, il y avait eu une réponse à ses questionnements et pour tout vous dire, la réponse, en réalité, ne le satisfaisait guère. Ses yeux étaient noyés de colère noire, sa colonne vertébrale vrombissait comme vrombissait le train, et les nerfs, les nerfs, eh bien ils avaient déjà lâchés, semblait-il.
  “Pourquoi il n’a pas la place 66 ; il a fallu qu’il se retrouve à côté de moi ; moi qui n’avais rien demandé, rien de rien – mais qu’y faire, je ne peux rien y faire !” ruminait-il profondément, fataliste. “Moi, je ne vais pas m’endormir dans le train et ronfler comme un porc, exprès pour ne pas déranger les autres, mais alors il y en a… égoïstes jusqu’à la moelle, centrés sur eux-mêmes, qui ne pensent qu’à leur bon plaisir, qui ne sont pas capables de vivre en société ! c’est un monde, tout de même, c’est un monde.” Et chaque pensée haineuse en amenait une autre et le voilà qui se noyait sous une épaisse couche de haine pure. Il serra d’avantage ses poings qui étaient devenus moites et les enfonça vivement dans les poches de son pantalon. “A quoi bon” se dit-il en mordant sa lèvre inférieure.
  Et, pire que tout, oui, que tout, le vieux bonhomme, en un ultime affront insolent, oui, s’était rendormi, tout comme ça, en quelques secondes seulement, comme si cet évènement ne s’était jamais passé, comme si rien du tout ne s’était passé et peut-être bien qu’il pensera ensuite qu’il avait tout rêvé. “Quel étrange rêve !” se dira-t-il au réveil en dévisageant son voisin d’un air amusé. Il rougira d’avoir pu rêver d’un inconnu et détournera le regard. Le soir, à sa bonne vieille femme, il racontera l’histoire et elle rira avec lui et d’un air réjoui et malicieux, elle ajoutera : “tout de même, un rêve pareil ! voyons ! une excentricité pareille, ça n’existe pas en vrai !” Peut-être bien qu’elle aura raison.
  Le visage tranquille du vieux bonhomme semblait narguer notre héros qui ne réussissait plus à détourner son regard qui oscillait entre le visage et la poitrine du bonhomme. Exprès, il s’était rendormi exprès ! Lui, peut-être bien qu’il allait passer trois jours sans sommeil à cause de cette histoire, et à lui, le vieux bonhomme, ça ne lui faisait rien, il s’était rendormi, tranquillement. Etait-ce possible ? Quelle offense terrible pour notre héros !
  N’empêche, il aurait pu forcer le bon petit vieux endormi, lui démontrer que non, il n’avait pas la place n°65 et que même, il avait la n°90 qui se trouvait là-bas, à l’autre bout du wagon et notre héros aurait été d’une telle force de persuasion que le petit vieux, il se serait mis à le croire, à être fermement persuadé que le numéro inscrit sur son billet était une erreur.
  Mais il ne le fit pas. Il le rumina et tourna l’idée dans tous les sens.
  Il s’en rongea les ongles jusqu’aux os. Mâchouilla le bout de ses phalanges jusqu’au sang, mordilla ses os harassés et ne cessa plus de lancer des regards en biais au vieillard tranquillement endormi qui n’avait rien demandé à personne.
  Par la suite, le voyage sembla fort long à notre héros. Quoi qu’il en soit, lorsqu’on ne fait rien pour s’occuper, il est tout à fait compréhensible que n’importe quel voyage, même le plus court, semble long. Et ses pensées imbriquées les unes dans les autres, ses pensées tortueuses ne l’aidaient pas, même, il ne pouvait pas du tout s’en défaire, elles affluaient et affluaient plus vite que le train n’avançait. Et puis, ce satané train, il était d’une lenteur folle, pourquoi est-ce qu’il s’arrêtait si souvent ? Pourquoi est-ce qu’il avançait si lentement ? Que faire ? Que faire ? Lui qui aimait tant le train, se laisser porter par la vitesse, confortablement assis, voilà qu’il se mettait à l’exécrer. Il y avait des élément qui l’empêchaient d’apprécier son voyage et ça, à ses yeux, c’était impardonnable.
  Ainsi se déroula le long, long voyage. Auparavant, il aurait fallu trois mois pour aller à destination. Aujourd’hui, il fallait quelques heures et encore, ce n’était pas suffisant, ce n’était jamais suffisant. Notre bon héros voulait subitement se déplacer d’un claquement doigt et peut-être même que là encore, ce n’était pas suffisant.
  Notre héros était ainsi et on ne pouvait pas le changer.

  Il n’avait pas vu sa sœur aînée depuis peut-être une bonne dizaine d’année – voire plus. Ses vêtements étaient du plus mauvais goût. Oui, ses vêtements, quels qu’ils fussent, étaient toujours constellés de taches douteuses. Ce petit détail n’avait jamais quitté la tête de notre héros et voyant les taches sur le manteau de sa sœur, il comprit qu’elle n’avait pas changé et pire, qu’on ne pouvait pas du tout changer, même après des années. Elle était également demeurée la même physiquement. Il lui fit la remarque ; elle répéta la remarque à son attention. Il dit à haute voix la pensée qu’il avait eue, comme quoi, il faut croire qu’on ne change pas. Ils s’échangèrent un sourire crispé.
  — Comment ça va ? demanda finalement la sœur après un long silence gênant.
  — On fait aller, on fait aller, répondit le frère dont le sourire se glaça.
  — Tu as fait bon voyage ? enchaîna-t-elle.
  — Non. Il y a de ces gens qui ne réalisent pas qu’ils existent d’autres gens, en ce monde.
  La sœur se racla la gorge. Le frère s’empara de sa valise.
  — On y va, fit la sœur.
  Et en effet, ils y allèrent.


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