index > courts > monologues > l'absente

L'ABSENTE [complet]
 
Octobre 2006
Nombre de pages Word, corps 10 : 2
TELECHARGER LE FICHIER .doc
 

  C’est une histoire terrible. Un jour, je me réveille, elle n’est plus là. C’est une histoire terrible. Je ne sais pas, je ne sais pas trop mais un jour, j’ouvre les yeux, il n’y a personne, elle n’est plus là, elle n’est plus là du tout, elle a disparu…
  La nuit d’avant, encore, elle était contre moi, elle dormait recroquevillée contre moi et encore, je pouvais la sentir respirer, je pouvais la sentir être. La nuit d’avant encore, je la touchais, je la sentais, je sentais sa peau. Oui, quelques heures auparavant, encore, elle était là, tout à côté de moi, toute proche de moi, tout contre moi. Respirer, être. Et là, je ne sais pas, elle n’est plus là, je ne la vois plus.
  Le jour d’avant, encore, je lui parlais et je souriais et je riais. Et même, je le sais, on a ri ensemble, des éclats de rires entremêlés. Oh, je ne sais plus du tout pourquoi on a ri, mais on l’a fait à gorge déployée et je me souviens, je crois que c’était très bien et c’était très amusant.
  Je ne sais pas ce qui s’est passé. Est-ce que j’ai fait quelque chose de mal ? Est-ce que, seulement, est-ce que j’ai dit quelque chose de mal ? Quelque chose qu’il ne fallait pas faire, quelque chose qu’il ne fallait pas dire ? Qu’en sais-je. Je le sais, ça, que c’est idiot, cette idée, “faire quelque chose qu’il ne fallait pas faire”. Bah, tout peut être fait, qu’importe, que ce soit mal – ou pas. Qu’importe, qu’importe.
  Avant de dormir, “bonne nuit”, elle a dit. Je crois bien qu’elle l’a chuchoté, je ne sais plus trop, je n’ai pas bien fait attention. Peut-être que j’aurais dû faire plus attention. Elle l’a chuchoté, oui, avant de s’endormir. Je crois bien qu’elle s’est endormie avant moi, d’un seul souffle, que son “bonne nuit”, elle l’a soupiré avant de perdre totalement conscience et de s’endormir complètement. Je ne sais plus trop.
  Oui, ça, c’est sûr, elle m’a souhaité une bonne nuit. Je crois bien que j’ai mis du temps à m’endormir, il faisait chaud, il faisait terriblement chaud, j’étais en sueur, les draps collaient à ma peau, c’était affreusement désagréable comme sensation. Je crois bien que j’ai tourné dans le lit jusqu’à en avoir le tournis, c’était affreux et puis, et puis toutes ces saletés de pensées qui me venaient en tête. Je ne sais plus lesquelles précisément. Je sais juste qu’il s’agissait de saletés de pensées qui m’empêchaient de dormir correctement.
  Ou peut-être bien que j’ai dormi, que je n’ai pas réalisé que je dormais profondément que tout ça, c’était juste en rêve, les draps qui collaient, les saletés de pensées…
  C’est une histoire terrible.
  Je me réveille, elle ne dort pas à côté de moi, je l’appelle, je me lève pour vérifier dans les autres pièces et elle n’est nulle part. Ni là, ni là, ni là. Je l’appelle encore, je l’appelle à de nombreuses reprises mais elle ne répond pas. “Tu te caches ?” je me mets à demander au bout d’un moment, presque en colère contre elle. “Alors quoi, tu arrêtes de te cacher”, je continue à dire, à crier même. Ça, je m’en souviens. A un moment, je me fatigue de chercher partout, dans les placards, partout, je m’assois sur le bord du lit. Je regarde, et la pièce est affreusement vide, je ne l’avais jamais vue si grande, cette petite pièce de rien du tout. Et là, je vois, il n’y a plus rien dans la pièce, il reste mes vêtements, mes affaires sur les étagères. Je porte un second regard dans la pièce et c’est là que j’ai vu que toutes ses affaires, elles avaient disparu elles aussi. “Mais quoi, je demande encore, tu fais quoi là ? arrête, arrête.” Je m’en souviens précisément, j’ai encore fouillé dans la pièce, pour voir s’il restait quelque chose d’elle. Rien du tout, rien du tout. Je ne cherchais rien de précis, juste quelque chose à elle, n’importe quoi ; quelque chose qui ne soit pas à moi mais à elle… quelque chose comme ça.
  J’ai attendu. Peut-être bien qu’elle allait réapparaître quelque part, qu’elle s’était juste perdue. J’ai attendu, je fixe la porte, je fixais la porte en observant consciencieusement la poignée, la poignée immobile, une petite poignée toute sale. Elle, elle avait posé sa main dessus ; de nombreuses fois. La poignée sale, à force de l’observer à m’en user la rétine, je la voyais bouger, de bas en haut, clairement, tout à fait nettement. Je croyais que c’était elle. Une fois, je me précipite à la porte, je l’ouvre en grand, d’un geste brusque. Personne.
  Je ne ferme plus la porte à clé et même parfois, je la laisse entrouverte, au cas où, on ne sait jamais. J’attends, j’attends, j’ai attendu. Je ne sortais plus. Si elle réapparaissait en mon absence, si elle ne me voyait pas chez moi, alors ce serait terrible. Je préférais ne pas bouger. M’absenter, non, non, il ne le fallait pas. Il fallait que la porte reste ouverte, juste pour elle.
  Je reste à la fenêtre, mon regard oscille entre la rue et la porte. Je m’attends à la voir surgir à chaque coin d’immeuble. Son ombre, je la traque sous les pas des passants ; tous, sans aucune exception. On ne sait jamais.
  Elle n’est plus là, plus du tout, c’est une histoire terrible, je me demande, je me demande bien pourquoi elle a disparu comme ça. Pourquoi est-ce qu’elle n’a rien laissé, pourquoi est-ce qu’elle ne m’a rien laissé ? Pas même un papier griffonné, pas même une trace de son existence ici, avec moi.
  C’était bien pourtant, c’était juste parfait. Elle le disait elle-même, ça, que c’était bien, d’être avec moi, d’être ensemble.
  Avant, j’avoue, quand elle était avec moi, je l’imaginais, j’imaginais qu’elle parte, qu’elle s’enfuie, comme ça, je ne sais pas trop pourquoi, pour me faire du mal, exprès, consciemment. Et là, réellement, ça s’est passé, réellement, c’est ça qui s’est passé. Elle n’est plus là, elle n’est plus là, elle a disparu. Comment l’expliquer… Comment dire…
  Je ne sais pas moi, je ne sais pas pourquoi. J’y ai réfléchi. Un peu. Puis beaucoup. Tout le temps. Sans arrêt. Jusqu’à en rêver la nuit. L’impatience, l’impatience, trop attendre, je m’en perds. Pourquoi, pourquoi – et où a-t-elle disparu ? Elle est où, en ce moment ? Je ne le sais pas et même, comment je pourrais le savoir, moi ?
  Un matin, je me réveille, les yeux encore suturés de fatigue, le corps chancelant d’avoir mal dormi, les muscles endoloris, je me soulève à peine, je pousse un peu la couverture sur le côté. “Tu es là ?” j’ai dit à haute voix à l’attention de la porte. Pas à la porte, à elle, j’ai juste pensé qu’elle était dans la pièce à côté, en train de se laver. Puis, je me souviens, ensuite, longuement après, qu’elle n’était plus là du tout.
  Et ça, c’est arrivé souvent, plusieurs fois. Je ne compte plus. Avant, oui, je comptais, comme ça, minutieusement, je répertoriais mes petites minuscules amnésies dans un carnet. Puis j’ai cessé, c’était comme trop inutile.
  C’est vrai ça, souvent, parfois, je me trompe, je lui parle, j’oublie. Je lui demande ce qu’elle veut faire, si elle veut aller se promener. Le silence qui s’ensuit me fait me souvenir, me rappelle qu’elle n’est plus là du tout.
  Ici, chaque objet se rapporte à elle, c’est terrible. Enfin, je crois. Je crois, parce que de son existence ici, il n’y a pas grand-chose qui puisse en témoigner.
  Ses lettres que je gardais dans un petit carton, là, juste derrière la porte, elles n’y sont plus. Il n’y a même plus de carton juste derrière la porte, il y a juste un petit coin empoussiéré. Elle m’avait offert des livres, il y en a même qu’on avait achetés ensemble et même, on les avait lus ensemble. Je ne me souviens plus des titres, je ne me souviens même plus des histoires, de rien mais sur les étagères, il y a des espaces vides entre mes livres. Des trous noirs, des petits espaces creux, sombres, couverts de poussière.
  Tous ses cadeaux, ils ne sont plus là, je ne les trouve plus.
  La pièce était toujours emplie de son parfum, un parfum lourd je crois, capiteux, terrible, enivrant même. Je l’aimais bien. Mais la pièce, en fait, dedans, il y a juste une abominable puanteur, une sale odeur de cendre froide, de fumée malade, une odeur accrochée jusque sur les murs, une odeur épaisse, trop épaisse.
  Il n’y a que moi qui sais. Rien ne peut le prouver, qu’elle a un jour été là, rien. Et seuls mes souvenirs témoignent de ce qu’elle a été là avec moi. Je ne vois plus l’empreinte de son corps dans le lit. Je pouvais encore discerner son corps replié, sur le flanc gauche, dans le lit, je pouvais encore voir sa silhouette droite, devant moi. Désormais, rien.
  J’en ai même oublié son visage ; son sourire ; la couleur de ses yeux ; ses postures ; sa façon de marcher. Ses cheveux, comment étaient-ils ? Est-ce qu’elle portait des bagues ? Est-ce qu’elle aimait le rouge ? Ou bien le bleu, le vert, le noir ? Quelle était la taille de ses pieds ? Des chaussures, elle en avait combien de paires ? Est-ce qu’elle aimait le café, le thé ? Je ne sais plus…
  Pourtant, chaque fois que je ferme les volets qui grincent, je la vois, je la devine qui baille derrière moi. Chaque fois que je fais cuire quelque chose, je l’entends presque me demander ce que je prépare. Chaque fois que je traverse la pièce, je m’attends à la heurter. Je fais attention. Très attention.
  C’est une histoire terrible parce qu’elle n’est plus là, plus avec moi, qu’elle l’a un jour été, là, juste à côté de moi, là même où je suis actuellement ; qu’elle s’est assise à la même place que moi, qu’elle a mangé dans les même assiettes que j’utilise encore, qu’elle a dormi au même endroit où je dors. Ça, je ne m’en souviens plus bien, mais je le sais. Sa silhouette floue me poursuit encore, encore, encore.
  Mais je ne sais pas moi, je ne sais pas pourquoi ! Comment l’exprimer !
  Elle a disparu, entièrement, totalement, c’est affreux, c’est affreux. C’est à s’en taper la tête contre les murs, c’est à s’en arracher les yeux de colère et de frustration, de ne pas pouvoir se rappeler, de ne pas pouvoir savoir.
  Et tout ça, c’est une histoire terrible, de ce que je ne puisse même pas affirmer qu’elle ait véritablement été là.


tristandlc.free.fr deviant art blog à rayures plastic inc.