index > courts > monologues > le lit de mort

LE LIT DE MORT [extraits]
 
Mai 2005
Nombre de pages Word, corps 10 : 15
IL FAUT M'ENVOYER UN MAIL POUR AVOIR LA TOTALITE
 

IV.

  Voilà, la bonne femme m’a entraîné avec prudence dans une chambre. J’étais déjà venu une ou deux fois et je peux vous dire que je n’ai pas reconnu les lieux, pas du tout, pas du tout !
  Ainsi, dans cette chambre à part, les rideaux avaient été tirés. Là, je préviens, je fais une description de la chambre (ah ! ah ! je sais, je ne vous prends pas pour des imbéciles), voilà mais cette vue, je ne l’ai eue que tardivement ; en fait, voilà, tout a été très tardif, c’est vrai. Ce que je signifie, c’est qu’en entrant dans la chambre, je n’ai pas du tout eu ces impressions, que les impressions, je les ai eues plus tard, je dirais quand, plus tard. Mais bon, il faut tout faire dans l’ordre : je rentre dans un lieu, je décris le lieu et ensuite, bon, on peut passer à la trame, l’action, ce que vous voulez
  Bon ! Dans cette chambre aux rideaux tirés, une toute petite lampe diffusait une lumière faible, quelque peu verdâtre ; c’était une affreuse pénombre glauque et dense. Une odeur horrible grignotait la cervelle. En fait, bon l’endroit était laid. Les tapisseries étaient déchirées, le plafond transpirait de longues traînées dégoulinante d’eau noirâtre, le sol était parsemé de taches indistinctes et tous les objets, tous les meubles étaient sens dessus dessous.
  Je le rappelle, je n’ai rien remarqué d’anormal dans cette chambre lorsque j’y suis entré ; c’est seulement après, plus tard, que j’ai pris conscience de la laideur de l’endroit. Moi, encore, en entrant, j’avais encore les yeux voilés de beauté, la tachycardie, tout ça, tout ça, ça m’empêchait de voir ce qu’il y avait autour.
  Au centre de la pièce, tel un trône, un lit reposait, un petit lit ridicule et dans ce lit, il y avait un corps ou du moins, je l’ai supposé ; un corps, donc, qui se dessinait sous les draps. Et dedans – était-ce la reine ? “Eh ! mais non, idiot, impossible !” ai-je répondu en écho pour moi-même. Quelle idée, non mais quelle idée ! Parfois, décidément, je me trouve assez stupide.
  La bonne femme, l’infirmière s’était rendue devant un meuble sur lequel trônait (il y a tant de chose qui trônaient !) une pile effroyable de médicaments, je signifie par-là des boîtes, bien sûr ; des boîtes colorées, multiples, presque jolies. Tout était en désordre, les boîtes étaient ouvertes, la majorité trônait (ah ! ah ! encore !) sur une commode mais il y avait également quelques boîtes éventrées sur le sol, des boîtes déchirées, émiettées. L’infirmière trifouillait dans tout ce bazar, elle semblait chercher quelque chose, une boîte bien précise mais elle ne trouvait rien – ou alors, faisait-elle semblant ? Elle ne parlait pas, elle respirait comme un cheval, elle plongeait ses mains dans ses boîtes et me lançait, comme ça, je ne sais pas, des regards en biais, en fait, voilà, elle m’épiait. Ah ! Ah ! Elle a cru que je ne la voyais pas ou quoi ? Moi, pareil, je restais silencieux.
  Je me tenais dans l’encadrement de la porte, je n’avais pas de boîtes dans lesquelles fouiller alors mes bras, je les croisais, je les dépliais, je les posais contre le mur. Quel remue-ménage, je ne savais pas quoi faire de mes bras, ouh, quel imbécile. Et l’infirmière qui me regardait de biais ! Quoi, je la voyais qui m’espionnait ! Là, j’avoue, j’ai commencé à perdre patience, même si en fait, je n’avais pas de patience, juste de l’impatience, mais c’est l’expression qui veut ça, vous aurez compris. J’ai perdu patience et je me suis même un peu irrité à cause de cette infirmière, là, qui feignait d’être occupée et qui me laissait là, comme un imbécile. Parce que moi, tout seul, je ne savais pas décider ; décider quoi faire ! Alors, elle ne disait rien l’infirmière ? Eh ! alors, je devais faire quoi, non mais c’est vrai, ça ! Je n’allais pas passer ma journée comme ça, debout, dans l’encadrement d’une porte, à plier et déplier mes bras !
  — Elle est où, alors, elle est où ? j’ai dit au bout d’un moment.
  L’infirmière a relevé sa tête et m’a lancé un regard de compassion triste à mourir – paf, ç’a glacé mon sang. N’empêche, elle n’a pas répondu ! Mais qu’elle était bête ! Que faire, que faire ? J’ai réitéré ma question, encore plus agacé et je n’ai pas eu de réponse là non plus ; l’infirmière n’a même pas daigné relever sa tête vers moi.
  Je jetais des coups d’œil discret à l’infirmière puis sur le lit et ainsi de suite, mon regard volait de l’infirmière au lit en passant parfois au plafond. Je me sentais terriblement bête, d’ailleurs, tout me paraissait bête et ce lit était bête et ces médicaments étaient bêtes, et l’infirmière et les rideaux, tout, tout.
  — Elle est où ?
  Ma voix a résonné, elle était lointaine, un simple écho. Puis il y a eu du mouvement, une légère agitation, j’ai entendu des frémissements de draps rugueux alors je regardai en direction du lit. Une espèce de chose émergea du non moins atroce oreiller sale, un peu brun, un peu jaune, originellement blanc (du moins, je présumais.) Quoi ? Quoi ? Mais qu’est-ce que c’était que ça ! Bon, de là où j’étais, je ne voyais pas grand-chose, à cause de la pénombre, de la lumière verte ; en fait, je ne voyais pratiquement rien, je distinguais juste une silhouette dans le lit et puis cette chose qui avait surgit, comme un mât, de sous les draps.
  — C’est… toi ? ai-je demandé.
  Puis aussitôt, j’ai voulu être foudroyé sur place ! Si, je vous jure, foudroyé ! Après, j’ai essayé de me rattraper, j’ai balbutié des choses, des inepties, j’ai malaxé mes mains encombrantes et je les ai finalement rangées dans mes poches. J’ai jeté un rapide coup d’œil à l’infirmière. Cette imbécile faisait comme si de rien n’était, ah ! elle devait bien se moquer de ma stupidité !
  Puis le mât est retombé dans ses draps, dans un fracas assourdissant – j’en ai sursauté ! Là, j’ai commencé à avoir très peur.
  L’infirmière, tiens, j’ai remarqué, tiens, désormais, elle me dévisageait d’un œil à la fois curieux et anxieux. Moi aussi, agacé, je me suis mis à la fixer droitement dans les yeux avec autant d’impudence et d’insolence qu’elle et elle, eh, elle ne cillait pas, elle ne baissait même pas les yeux ! Non mais quelle insolence, quel sans gêne ! Je déteste ça ! Et puis… et puis, qu’est-ce qu’elle faisait là ? Je me suis préparé à dire :
  — Mais dégage donc hors de ma vue, saleté, va-t-en !
  Je n’ai rien dit.
  J’imagine toujours déclamer des répliques foudroyantes, je les imagine toujours très nettement, avec tous les mots et toutes les intonations nécessaires mais en réalité, tout ce qui sort de ma bouche ? Bredouillages et balbutiements et bafouillages ! Ah !
  C’était ridicule, tout ça ! Tout ça, c'est-à-dire : le lit qui remuait et l’infirmière qui me dévisageait et moi qui parlais n’importe comment ! Bizarrement, il n’y avait que moi qui étais oppressé par cette sensation, l’infirmière, à elle, ça ne lui faisait rien du tout, elle plongeait ses yeux dans les miens afin de les sonder. J’ai soudain réalisé que cette infirmière, je crois, eh bien qu’elle était bête comme ses pieds ! On voyait une espèce de stupidité dégouliner de toute sa face.
  Bref ! Cette scène grotesque cessa à l’instant où l’infirmière eut un soubresaut d’intelligence, elle fit une révérence maladroite en disposant encore une fois ses ustensiles diaboliques à leur place, d’une main peu confiante, en baissant la tête pour ne plus voir mon regard puis elle fuit hors de la chambre, à petits pas.
  “Et moi, je fais quoi, maintenant ?” me disais-je. Que décider était difficile ! Ç’a toujours été difficile ! Avancer ou bien reculer ? Aller à droite ou aller à gauche ? La vérité, c’est que les questionnements eh bien, ça fait stagner ; au moins, après, plus de problème pour savoir si devant, à droit à gauche c’est mieux !
  Il a bien fallu que je me bouge, pourtant.
  Une peur colérique s’emparait de moi. J’entends par là que cette peur attisa une colère noire dans mon cœur. D’où est-ce qu’elle venait cette colère ? De l’irritation de l’attente ? Bien, je n’en avais aucune idée. Ah, la colère grondait, au loin, et remuait les bas-fonds de mon corps !
  Je me suis un peu rapproché du lit – il le fallait bien ! Ah, avec cette peur et cette colère et cette tachycardie, tout ça, non mais quel chaos ça provoquait ! J’ai hésité horriblement longtemps, peut-être juste cinq minutes, mais ç’a duré des heures. Il n’y avait plus d’agitation dans le lit, il n’y avait plus rien !
  C’était elle ! Mais bien sûr, bien sûr que c’était elle ! Et puis, hein, qui est-ce que ça pouvait être d’autre, sérieusement ? Mais ça je le savais, que c’était elle, je le savais depuis le début – mais n’empêche, je me suis dit que… peu importe ! Je le savais et je ne voulais pas le savoir, je voyais et je ne voulais pas voir.
  Et encore, là, c’était rien.
  Alors, avec la peur au ventre, je me suis approché du lit, à pas lents et incertains.


tristandlc.free.fr deviant art blog à rayures plastic inc.